Il faut sauver le soldat Chesnais-Girard et le (projet du) capitaine Le Duff : Ouest-France s’en charge…


Le texte ci-dessous est signé par CoLERE : Comité Local pour l’Environnement et la Résilience Ecologique basée à Liffré près de Rennes. Ce collectif mène une des luttes emblématiques contre l’agro-industrie et interroge les liens industriels, politiques et médiatiques en oeuvre.

marche du 5 novembre 2022 contre l’usine de viennoiserie Bridor à Liffré

Communiqué du 9 novembre 2022

En parallèle à notre dernière marche climat à Liffré, le 5/11/22, voici que le quotidien Ouest-France se livrait à un article homérique prétendant récapituler l’historique du projet Bridor-Liffré [1].

Un récit poignant, s’il en est, mettant en scène Loïc Chesnais-Girard dans un combat sans relâche pour sauver l’emploi dans sa ville et dans sa région. Un récit ayant surtout pour ambition de « prendre aux tripes » tout lecteur réticent à ce projet, même le plus à gauche, même le plus écologiste. Un récit hélas émaillé de nombreux oublis ou imprécisions que nous nous proposons de reprendre ci-dessous, pour la complétude de l’information de ce dernier, en espérant ne pas lui gâcher son frisson passionnel pour cette saga digne de Zola.

L’article commence sur la fermeture annoncée de l’équipementier automobile Delphi en 2018 et de l’abattoir SVA, nous apprenons alors que : « A Liffré, on ne s’en cache pas, la ville veut des usines pour réembaucher les ouvriers et proposer d’autres métiers que du tertiaire ou des postes pour diplômés ». Cependant, le bilan de l’emploi [2] établi par Liffré Cormier Communauté (LCC) cette même année pointait pourtant que la demande d’emploi sur Liffré était plutôt celle de gens (sur)diplômés par rapport à la moyenne nationale. D’après ce rapport, la menace vient surtout du défaut d’emplois artisanaux et agricoles, particulièrement en raison de la chute du nombre d’agriculteurs (pour cause de vieillissement). Le manque de circuits courts et/ou de proximité pour l’alimentation y sont clairement constatés et les opportunités générées pour les produits « bio » mises en avant. Il ressort donc de cette étude que besoin principal, parmi les emplois les plus manuels, se trouve plutôt dans le domaine de l’artisanat et de l’agriculture de proximité, voire de la culture maraîchère. Dans ce contexte, alors que le taux de chômage à Liffré est l’un des plus bas de France (il est encore de 5,6 % actuellement), penser réemployer les ouvriers licenciés, formés pour la confection automobile ou pour l’abattage et le dépeçage d’animaux, dans une croissanterie industrielle qui sera opérationnelle au mieux quatre an plus tard reste pour le moins hasardeux. Si le secteur de Sévailles-2 devait être sacrifié à l’aménagement, il aurait été plus sage de le réorienter vers les emplois indispensables en agro-culture en accord avec le rapport précité, en mettant en place une politique incitative appropriée et un plan de formation adapté. Or, c’est exactement ce que nous prônons actuellement à CoLERE, car il n’y a pas de besoin local recensé pour d’autres type d’emplois, fussent-ils disponibles en nombre. Sur ce dossier, Monsieur Chesnais-Girard aura probablement été mal conseillé… Précisons ensuite qu’il ne pouvait ignorer que la réalisation de ce projet, écologiquement très impactant, mettrait l’ensemble des élus et lui-même en porte à faux par rapport à leurs engagements environnementaux vis-à-vis des citoyens tels qu’énoncés dans le SRADDET (par exemple concernant l’empreinte carbone ou les zones humides) et contreviendrait frontalement aux directives sur l’artificialisation des terres agricoles (loi ZAN), dont il deviendra d’ailleurs un grand zélateur par la suite.[3] Qu’à cela ne tienne !

L’article se poursuit et aborde la demande en eau du projet qui constitue une des préoccupations majeures pour les habitants. Il nous en est dit : « [Parmi les futurs besoins de l’usine]… il y a aussi un peu plus de 200 000 m3 d’eau pour faire tourner ses machines. L’équivalent de ce que consomme l’abattoir qui sera parti… Décidément, les planètes ont l’air de bien s’aligner. » Hélas non, là-encore ce n’est pas exact, car l’abattoir quittera Liffré pour s’installer à Vitré, or c’est le même bassin versant, donc le même fournisseur d’eau qui alimentera les deux usines. En d’autres termes, leurs besoins en eau ne s’annuleront pas mais s’additionneront et constitueront donc une demande en eau qui viendra concurrencer celle du consommateur de LCC en cas de pénurie. C’est d’ailleurs stupéfiant de lire dans cet article rédigé très récemment que la demande en eau du projet ne devrait pas être un problème alors que ce même quotidien a régulièrement titré sur la pénurie d’eau potable en Bretagne cet été. [4]
Il rappelait plus récemment encore, que les élus de Liffré, en raison de la sècheresse estivale, ne seraient peut-être pas autorisés à remplir le nouveau bassin de la piscine municipale, faisant par là-même encourir à la commune (et donc aux contribuables) des pénalités financières énormes [5] et tout ceci alors que l’usine Bridor à Liffré n’est même pas construite !

Dans la même série d’affirmations tendancieuses le rédacteur essaye de banaliser le ressenti provoqué dans la population par l’annonce du projet. Ainsi, on nous explique qu’en 2019 : « À Liffré, la venue prochaine de Bridor [était] un non-événement». Forcément, à cette date (préalable au débat public), personne n’était au courant! Et on nous précise ensuite que « La concertation va être énorme, avec plein de tables rondes, des réunions, des enquêtes publiques. ». Là encore, il n’y avait pas le choix : pour un projet aussi impactant, un débat public d’envergure était obligatoire d’après la loi. Le rédacteur s’emballe alors : «De fait, les rendez-vous s’enchaînent. Ce n’est jamais la foule. » Mais là, c’est encore inexact, car il y a eu du monde à chaque fois, fait remarquable pour des réunions qui démarrent fin août pour se poursuivre en septembre, en pleine rentrée scolaire, démarrant à 18h30 et se terminant souvent le soir après 21h30 ! Bien entendu, vu le caractère fortement écocide et impactant pour le climat de ce projet, il y a des jeunes présents dans le public, car ils se sentent plus concernés par le futur que leurs ainés. A leur propos, on nous précise qu’il y a des « membres d’Extension rébellion ». Le rédacteur, mal informé, veut en fait parler du mouvement écologiste Exctinction Rebellion. Il précise encore que «…Leur présence n’est pas toujours comprise.
[Qu’]ils n’habitent pas Liffré et parlent de l’empreinte carbone de l’industrie. [Que] dans les rangs et sur l’estrade, on lève les yeux au ciel. [Que] cette petite poignée de voix à moitié-anarchiste, à moitié-utopiste ne va pas changer la face du monde. » Là aussi, c’est encore faux : une bonne moitié de ces jeunes militants résident à Liffré même ou au sein de LCC et, vu leur âge, il n’est pas choquant qu’ils soient parfois un peu exaltés, mais leur propos sont parfaitement audibles du public, même s’ils finiront par se radicaliser à la fin du débat face à l’autisme des élus et des porteurs du projet. Par ailleurs, précisons qu’ils ont absolument raison sur un point : il n’y aura pas d’emplois qui tiennent sur une planète morte ! Très vite, une opposition majoritaire au sein du public s’est fait sentir (excédant de loin celle des jeunes) alors la question de la consommation excessive en eau devient centrale dans les critiques. La réunion de conclusion du débat tourne en « eau de boudin » et doit être suspendue avec une des garantes en larmes, tant l’antagonisme entre le public et les porteurs de projet s’est accentué. Cela n’empêche pas la commission nationale du débat public (CNDP) de considérer que le débat s’est bien tenu et de valider cette phase obligatoire, en donnant toutefois comme recommandation aux porteurs du projet et aux élus de mieux informer le public. On croit rêver ! La pandémie de covid-19 aidant, une seule autre réunion d’information publique d’une heure sera finalement programmée six mois après cet avis avec une publicité minimaliste auprès du public. Cette ultime réunion sera également interrompue prématurément suite à une mésentente avec une partie du public sur la manière d’organiser le débat. Refus du public de quitter la salle après le départ des maîtres d’ouvrage. Les échanges sont vifs et un élu se rompt le tendon d’Achille, prétendument en raison d’une agression. En dépit de celle-ci et de la présence des gendarmes, la salle n’est pas évacuée et le dialogue de sourds se poursuit entre le Président de LCC, quelques élus et une partie du public qui reste pour échanger. Dans ces conditions, convenons que c’est quand même un peu osé de parler de « non-événement » pour le ressenti du projet par le public. Nous sommes cependant ravis de constater qu’il est aujourd’hui précisé par ce même quotidien, qui a pourtant répétitivement publié à charge contre CoLERE et contre les autres collectifs présents à l’époque, en titrant sur cette prétendue agression [6] et en refusant de publier notre droit de réponse, qu’«un maire perd l’équilibre et [se] fait une rupture du tendon d’Achille », ce que nous avons toujours clamé [7].

En dépit de la recommandation de la CNDP de mieux informer le public, il n’y aura plus d’autre réunion d’information ou d’échange sur ce projet, car l‘enquête publique sur la révision du PLU démarre dans la foulée. Contrairement à ce que narre la suite de l’article, le cheminement du projet à travers les instances administratives (qui restent consultatives) n’aura pas été un long fleuve tranquille : aussi bien l’office national de la biodiversité (OFB), que la mission régionale pour l’environnement (MRAe) ou le syndicat d’aménagement et de gestion de l’eau de la Vilaine (SAGE-Vilaine) donneront répétitivement des avis très réservés, voire négatifs, tant le projet recèle des imprécisions et apparait écologiquement impactant. Rien n’y fait ! Les élus veulent aller le plus vite possible, faisant fi de toute conciliation. L’article ne précise pas plus que les avis positifs rendus par les commissaires enquêteurs à cette enquête publique et à la suivante, portant sur le projet lui-même, seront accordés en dépit de dépositions très majoritairement hostiles au projet et d’une participation massive du public, avec plus de 280 dépositions dans le second cas dont 260 y seront fermement opposées. Il ne précise pas davantage que, suite au vote de la modification du PLU par LCC, CoLERE a demandé un référendum local sur le projet qui sera refusé par les élus de LCC. Pour une concertation annoncée comme « énorme », convenons que cela aurait pu être mieux. Pourquoi d’ailleurs les élus n’ont-ils pas consenti à organiser ce référendum si, comme le dit cet article, « Bridor [était] un non-événement. [Si] au mieux, on y vo[yait] une bonne nouvelle pour le coin. [Si] au pire, ça provoqu[ait] l’indifférence » ?

La saga que l’auteur met en scène dans l’article se conclut sur un « happy end » avec : « …le permis de construire, accordé par l’État, est affiché depuis cet été. Bridor a passé toutes les étapes et a le droit de créer son usine. On a le sentiment d’un travail terminé, concluent, à l’unisson, le maire de Liffré et le président de la communauté de communes. » On en pleurerait presque de bonheur… Mais hélas non, c’est encore faux ! Les recours en justice déposés par les riverains et certaines associations bloquent encore la réalisation de ce projet, offrant un laps de temps supplémentaire à la réflexion, après une canicule estivale propre à raviver les craintes des plus convaincus. Pour preuve, Louis Le Duff, le milliardaire propriétaire de Bridor, fort contrarié, est même très récemment sorti de sa réserve pour menacer de se retirer du projet si on le contrarie plus longtemps. [8]

Qu’espère-t-il donc changer, car pour l’instant le destin de celui-ci est entre les mains de la justice et de quoi a-t-il peur si son projet est si vertueux ?

Brid…hors

Pour conclure, nous vous invitons à vous interroger sur quelques points absents de la « vision du monde » vantée par l’auteur de l’article précédemment décrié :
Comment peut–on durablement espérer faire voyager des viennoiseries surgelés à travers le monde pour les vendre à l’autre bout de la terre alors que plus de la moitié de l’humanité n’aura même plus le loisir de circuler en voiture d’ici 20 ans et sera possiblement exposée à des troubles climatiques majeurs ?
Comment peut-on prétendre utiliser autant d’eau pour un objectif aussi déconnecté des défis futurs tout en détruisant localement une tête de bassin versant, alors que l’accès à l’eau potable deviendra un enjeu vital pour les bretons d’ici moins de dix ans ?
● Enfin, comment peut-on décemment continuer à raisonner d’après les normes économiques du monde « d’avant » alors que l’on vient juste de frôler la faillite totale du système à l’occasion de la pandémie de Covid-19, que nos économies restent sous perfusion et que les choses ne vont pas s’améliorer avec les réchauffement climatique qui se poursuit sans frein?

Au sein de chaque territoire le capitalisme a exacerbé la lutte entre les classes. Demain, avec le réchauffement climatique, celle-ci va se doubler d’une lutte entre générations : n’est-il pas grand temps de penser à réorganiser ce monde afin de nous laisser à tous le plus de chances possibles d’y vivre au mieux en paix ? Contrairement à ce que suggère la « vision du monde » que Ouest-France semble plébisciter, un premier pas dans cette direction est de refuser ce projet afin de préserver au maximum les ressources locales naturelles de Sévailles-2 pour le bien de tous : l’intérêt général doit primer sur l’intérêt privé, n’en déplaise à certains…


CoLERE : Comité Local pour l’Environnement et la Résilience Ecologique.
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35200 Rennes).

  1. «Un projet industriel, deux visions du monde : ce qu’il faut savoir de l’usine Bridor à Liffré», Ouest-France (4/11/22)
  2. Stratégie intercommunale de développement économique et emploi, Liffré Cormier Communauté, 2018 (https://fr.calameo.com/books/004471329222211e9a1e0).
  3. Courrier destiné aux maires de la région, daté du 04/03/21 et portant sur la nécessité de préserver les terres agricoles et naturelles, co-signé par le Préfet de région (E. Berthier) et lui-même.
  4. « Les deux tiers de l’Ille et Vilaine placés en crise sécheresse » ; Ouest France, 2/8/22.
  5. « …le chantier d’une piscine…risque-t-il de s’arrêter à cause de la sécheresse ?» ; La Chronique Républicaine, 15/10/22, « Ces communes interdites », Ouest France ; 30 juill. 2022 ou « Eau potable : la réserve rennaise piégée par les pesticides » ; Ouest France, 4/7/22.
  6. Voir par exemple : «Bridor : le maire blessé porte plainte et témoigne» ; Ouest France, 6/7/21.
  7. Un autre quotidien le publiera in extenso, voir notre site internet ou : « Droit de réponse de CoLERE » ; La Chronique Républicaine, 2/8/22.
  8. «Projet d’usine Bridor à Liffré : Le Duff met en garde», Ouest-France (7/11/22).