La Charte pour l’abandon des fermes-usines

Nos motivations

Un modèle choisi par les seuls groupes industriels

Depuis les années 50, la Bretagne est devenue, au fil des années, un terrain d’essai et de lancement de stratégies d’industrialisation de l’agriculture, particulièrement dans le domaine de l’élevage.

S’appuyant sur l’organisation bien établie de la paysannerie en coopératives, la rationalisation promue par les différents gouvernements a abouti à la main-mise d’agro-industries naissantes sur le système productif agricole. Les outils de production ont été structurés pour « nourrir le monde », avec à la clé l’éternelle promesse d’augmentation des revenus agricoles et d’accroissement du développement local. Mais finalement, depuis Pisani1, seule la promesse d’une production massive a été tenue.

Aujourd’hui, le constat est clair. D’une part, le nombre d’agriculteurs est en constante diminution. D’autre part, des firmes de business et le système bancaire s’approprient la gestion de la filière et ses bénéfices, et pressent les décisions politiques vers des modèles de massification ayant pour but d’augmenter leurs profits (mono-cultures, mono-produits, mécanisation à outrance, contrats d’intégration2).

Ces orientations ont des conséquences désastreuses et multiformes sur la vie de chacun de nous : la désertification rurale a déstructuré le tissu social et sur le plan environnemental, les impacts de l’industrialisation sont particulièrement lourds : pollutions des sols, de l’eau, de l’air, appauvrissement de la biodiversité, participation massive au dérèglement climatique, mise en danger de nos santés.

Dans ce système, les fermes-usines, dans leurs diverses formes, représentent l’optimisation ultime de cette agro-industrie en concentrant moyens, outils, produits et bénéfices pour quelques uns. Par ailleurs, elles illustrent le modèle de production hors-sol affranchi de toutes contraintes d’environnement. Elles sont devenues à la fois le symbole des désastres de ce type d’agriculture et un enjeu sociétal sur les territoires (voir annexe : « définition du terme ferme-usine »).

Vers une rupture du modèle agro-industriel

En Bretagne, depuis des décennies, les luttes sociales, paysannes, environnementales ont fait évoluer des situations et des idées. Cette force s’exprime toujours aujourd’hui et se dresse en permanence dans un rapport bien souvent inégal.

Si les majorités politiques se montrent inaptes à provoquer des changements d’orientation, en revanche d’autres facteurs apparaissent capables de fragiliser le système agro-industriel ou de provoquer son abandon :

  • Les citoyens se préoccupent du contenu de leur assiette. L’émergence de la demande croissante de denrées saines3, locales et en circuits courts favorise les installations paysannes indépendantes des groupes industriels. Un ensemble d’acteurs participent activement à cette dynamique ;
  • Le dérèglement climatique est une catastrophe inédite qui touche toutes les activités humaines4 et impose des adaptations parfois radicales. Les importations d’aliments, les dépendances nombreuses vis-à-vis du cours des matières premières5, les canicules et les tempêtes pourraient remettre en cause, à terme, certaines filières agro-industrielles incapables, par nature, de résilience.

Pour autant, aujourd’hui, aucune réorientation de fond ne semble se dessiner. On n’assiste qu’à un changement d’apparence et de discours, davantage destiné à prolonger les pratiques actuelles qu’à les remettre en question.

L’émergence de forces nouvelles, capables de faire basculer les modèles de référence, est une urgence. Déjà depuis quelques années, se multiplient des initiatives d’information des citoyens, des manifestations, des actions de désobéissance, des recours devant les tribunaux, des interpellations d’élu·e·s… L’ordre et les équilibres établis sur notre territoire sont bousculés. Cela nous invite à imaginer et organiser un mouvement d’ampleur.

La diversité, la profondeur et la détermination qui animent ce mouvement, sont en mesure d’inverser les rapports de force.

Le modèle que nous souhaitons promeut la production d’une alimentation de qualité accessible à tous, via une agriculture vivante, territorialisée, avec des élevages soucieux du bien-être animal, dans un système respectueux des paysans.

Nos modes d’actions

Une prise de position affirmée

Les signataires de cette charte reconnaissent que le système agro-industriel breton est responsable de :

  • la dégradation des conditions sociales des personnes y travaillant directement ou indirectement ;
  • la dévalorisation du travail de la terre ;
  • la rupture du lien agriculture – sol ;
  • la pression bancaire relative au remboursement des emprunts ;
  • l’empoisonnement des sols, la pollution de l’eau et de l’air ;
  • l’atteinte multiforme aux milieux naturels, première cause de l’extinction en cours de nombreuses espèces en Bretagne ;
  • la destruction d’un cadre de vie sain et agréable ;
  • la participation massive au réchauffement climatique ;
  • la dégradation de la qualité de l’alimentation ;
  • Le développement de maladies spécifiques.

Sur la base de ces constats et dans l’objectif de former un groupe de pression indépendant des pouvoirs politiques et économiques, ils constituent un collectif dénommé « Collectif Bretagne contre les fermes-usines6».

rassemblement devant l’usine SANDERS – avril 2021

Un mode opératoire engagé

Le Collectif fonde sa légitimité à agir sur la Charte de l’environnement7 :

« Article 2. Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. »

« Article 7. Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.»

Par ailleurs, par son action, le Collectif entend répondre à l’Appel des 1000 scientifiques de février 20208.

Le Collectif prend acte de l’article 122-7 du Code pénal9 :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

Le Collectif s’attache à programmer un ensemble d’actes de résistance, d’enquêtes, d’investigations, de dénonciations, de mobilisations, de manifestations, de procès, de blocages et d’occupations.

Chaque action fait l’objet d’une décision du Collectif qui revendique ses actions en son nom. Pour chacune de ces actions, l’engagement des individus s’inscrit à chaque instant comme un acte légitime, non-violent et si nécessaire de désobéissance civile.

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Annexe : Définition du terme « ferme-usine »

Le tableau ci-dessous recense des éléments caractéristiques d’un système.

➊ rupture du lien avec le solune unité de production dont les matières premières sans lien avec le sol de l’exploitation, viennent de circuits d’importation dé-territorialisés et/ou internationalisés,
des produits standardisés avec utilisation de traitements préventifs systématiques,
des circuits de vente hors territoire, gérés par des groupes industriels,
une gestion des déjections basée sur l’exportation hors territoire.
➋ impacts sociaux et territoriauxune production massive pour un minimum d’emplois, faisant souvent appel à une main d’œuvre sans qualification.
un pilotage de la production par des groupes industriels et les acteurs de la finance ; une dépendance à ces groupes et acteurs.
des produits entrant sur le marché à bas prix, en concurrence avec les productions locales.
des normes sanitaires imposées à toute une filière (ex :confinement rendu obligatoire dans les élevages plein air) pour prévenir les effets redoutés dans les systèmes intensifs.
Un recours et une dépendance aux financements publics (en investissement et en soutien aux filières fragilisées).
une disparition des savoirs-faire paysans.
➌ impacts environnementaux, climatiques et sanitairesDes pollutions tout au long de la chaîne de production ayant des impacts sur la biodiversité et la santé déforestation et pollutions importées.
– émissions de CO2 lors des transports.
– rejets massifs d’ammoniac, de CO2, de nitrates, de méthane, de pesticides, de fongicides et de traitements de synthèse,
– artificialisation des sols et des terres,
– épuisement des sols lié à la monoculture,
– surconsommation et pollutions des eaux,
– pollution du littoral par les algues vertes,
– développement d’antibio-résistance (lié au recours systématique aux antibiotiques),
– émergence de zoonoses,
– modes de production recourant massivement aux hydrocarbures, dépendants de financements publics, et en contradiction avec les recommandations issues de la Convention Citoyenne pour le Climat10, et le rapport avec les recommandations du GIEC11.

1https://fr.wikipedia.org/wiki/Edgard_Pisani

2https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006152235/1998-12-31/

3https://agriculture.gouv.fr/consommation-bio-les-francais-ont-modifie-durablement-leurs-pratiques

4https://www.lemonde.fr/blog/huet/2021/08/09/le-rapport-du-giec-en-18-graphiques/

5https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/matieres-premieres-agricoles-les-prix-flambent-7139063

6https://bretagne-contre-les-fermes-usines.fr/

7https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/charte-de-l-environnement

8https://rebellionscientifiques.wordpress.com/

9https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417220/

10https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Convention/ccc-rapport-final.pdf

11https://www.lemonde.fr/blog/huet/2021/08/09/le-rapport-du-giec-en-18-graphiques/