Comprendre les enjeux de l’actu agricole, ce qui se joue au-delà des affichages

Comprendre

La revue en ligne Lundimatin produit un entretien avec Morgan ODY, maraîchère du Morbihan et membre de la Confédération Paysanne.

extraits :

Lundimatin : Il y a quelques jours, une cinquantaine de collectifs et d’organisations écologistes ont signé une tribune appelant à rejoindre le mouvement des agriculteurs pour essayer de déjouer l’opposition mise en scène entre « écolos bobos déconnectés » et agriculteurs ruraux fans de pesticides. Selon toi, comment se posent les questions écologiques dans les milieux agricoles ?

Morgane Ody : « Je pense qu’on est pas plus bête que les autres. Tout le monde se rend bien compte qu’il y a un vrai problème environnemental, qu’il y a un vrai problème de crise climatique et un vrai problème de biodiversité. D’autant plus qu’en tant que paysans, nous sommes en position de médiateurs avec la nature donc on se rend très bien compte de tout cela. Mais comme je l’expliquais tout à l’heure, pour un certain nombre de collègues, ça les place dans situation d’impossibilité économique. Produire de façon plus écologique, ça coûte plus cher et donc dans le cadre d’un marché ouvert, on est moins compétitif et on en n’a pas les moyens. Les agriculteurs se retrouvent donc coincés dans une injonction contradictoire et impossible ; et comme on dit « c’est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ». Pour autant, évidemment qu’il faut bouger sur les questions écologiques et c’est ce qu’on essaie de pousser avec la Confédération Paysanne. Les enjeux sont immenses donc il faut le faire mais ça nécessite de changer les règles et les injonctions économiques. Ce qui ne veut pas forcément dire que les produits seront plus chers pour les consommateurs mais que les marges des autres acteurs vont être réévaluées. Il faut comprendre que dans le prix d’un produit, 15% reviennent au paysan et les 85% restant sont répartis parmi les autres acteurs, le transport, la transformation, etc. Certaines de ces margent sont justifiées, mais d’autres reviennent à des acteurs qui se gavent. Donc si on veut que les paysans puissent être payés correctement tout en produisant en accord avec la nature et sans que le prix ne se répercute sur le consommateur, ça implique de mettre en place des instruments que l’on connait très bien comme les prix plancher et la gestion de l’offre (supply management) qui permettent que l’on ne sur-produise ou ne sous-produise pas. Le dernier outil le plus important, ce sont les stocks publics. Si on remettait des stocks publics en place dans nos pays, cela permettrait de stabiliser les marchés et de lutter contre les mouvements de spéculation. Je vais vous donner un exemple : au début de la guerre en Ukraine, il s’est passé quelque chose de complètement dingue. On nous a vendu, dans les médias, le risque d’une famine liée à la pénurie de blé Ukrainien, etc. En quelques mois, les prix des denrées agricoles ont doublé alors qu’il n’y avait en réalité aucun problème de production et d’excellentes récoltes partout. Sauf que les conséquences de cette spéculation, c’est que cela a crée des situations réelles de famine notamment dans les pays très fortement dépendants des importations de céréales comme certains pays du Maghreb ou comme le Sri Lanka. Et cela, non pas parce qu’il manquait de céréales au niveau mondial, la production était excédentaire, mais parce que leur prix avait tellement augmenté qu’ils n’étaient plus accessibles pour les gens. Or, lorsque les pays sont dotés de véritables stocks publics, les états peuvent réguler le marché : soit injecter de la production quand les prix partent à la hausse, soit en racheter quand les prix partent à la baisse. Cela permet de stabiliser les stocks et le marché. En France nous avons des stocks mais ils ne sont pas publics, ils sont privés et donc ils jouent le jeu de la spéculation : quand les prix baissent, ils vont à la baisse, quand ils partent à la hausse, ils vont à la hausse. Il y a donc un intérêt commun aux paysans et à la population à avoir une politique publique qui régule le marché et interdit la spéculation. Sauf qu’évidemment, les secteurs financiers et les très gros céréaliers qui jouent la spéculation, eux ils n’ont pas du tout intérêt à ça. Et là on revient à ce que je disais sur les 1% et la petite clique de requins qui se font beaucoup beaucoup d’argent sur le dos de la population et des paysans. L’inflation des prix de l’alimentaire pour les uns, les revenus de misère pour les autres, on se fait donc tous avoir. »

LundiMatin : Dans la mesure où la production agricole française a massivement été captée par la logique agro-industrielle ces dernières décennies, est-ce que ça ne semble pas normal que les revendications des agriculteurs collent à celles de cette agro-industrie et donc de la FNSEA ? Et qu’il y ait donc un écart avec les revendications de la Confédération Paysanne par exemple, qui elle défend un modèle et une logique paysanne assez différente et opposée.

Morgan Ody : « C’est encore plus complexe que ça, parce que les dirigeants de la FNSEA, c’est vraiment les 1% contre les 99%. Arnaud Rousseau, c’en est vraiment la caricature, c’est un grand patron de l’agro industrie, extrêmement riche, qui possède 700 ou 800 hectares, ce qui n’est vraiment pas le cas des 99% d’adhérents aux FDSEA. Il y a donc une déconnexion de plus en plus grande entre cette toute petite élite qui est très proche du gouvernement, qui prend les décisions main dans la main avec lui et les gens, syndiqués ou non, sur le terrain, qu’ils soient dans les modèles bio ou pas. Je peux prendre l’exemple de mes voisins, ils ont 100 hectares et pourtant ils galèrent. En Bretagne, par exemple, quand tu as 50 hectares, tu as deux choix : soit tu passes en bio, mais ça ça valait le coup il y a 5 ans, soit tu rachètes la ferme de ton voisin et tu prends 50 hectares et 50 vaches de plus pour faire plus de volume, travailler comme des malades nuit et jour et tenter de rester à flot. Et l’option du bio devient aussi une impasse car on a de plus en plus de mal à vendre nos produits depuis la crise du Covid et on les vend à des tarifs très proches du celui du circuit conventionnel. Donc quelques soient les choix que les uns et les autres ont fait, quand ont fait partie des 99% on partage vraiment la même galère. »

L’article entier se retrouve sous ce lien.


La vision régressive d’un syndicat agricole décomplexé


Des enjeux de santé publique et d’environnement

Communiqué du Collectif de soutien au victimes des pesticides de l’Ouest

L’AVENIR DE L’AGRICULTURE NE PEUT SE CONSTRUIRE CONTRE NOTRE SANTE ET NOTRE ENVIRONNEMENT


Depuis plusieurs jours, les agriculteurs font entendre leur colère. Nous considérons comme légitime leur dénonciation de traités internationaux de libre-échange qui organisent une compétition déloyale. Nous dénonçons avec eux également les marges choquantes de distributeurs, coopératives et industriels qui privent de revenus décents un bon nombre d’agriculteurs, notamment les agriculteurs bio.
Nous sommes beaucoup plus circonspects sur d’autres demandes, comme remédier à l’excès de normes environnementales ou supprimer les soi-disant surtranspositions du droit européen dans le droit français. Ces demandes émanent de dirigeants agricoles qui prétendent représenter « les agriculteurs ». Quoi de commun entre un céréalier de la Beauce, un producteur de reblochon, un éleveur bio, un maraîcher industriel, un viticulteur de cépage protégé ? Le discours sur « l’agriculture est au-dessus de tout » signifie en réalité que ce gouvernement va laisser le lobby agro-industriel décider de tout.


Depuis des mois, une grande régression semblait se profiler. Nous y sommes.


En dépit de la pollution des eaux par les pesticides, la Première ministre a annoncé le 5 décembre dernier, après une rencontre avec le président de la FNSEA, l’abandon du relèvement de la redevance pour les pollutions diffuses liées aux ventes de pesticides, ainsi que celle sur les prélèvements sur la ressource en eau.
L’abandon du principe pollueur-payeur prive les collectivités des moyens nécessaires pour assurer le traitement de l’eau… Ce qui ne sera pas payé par les pollueurs devra l’être par les consommateurs.
A Bruxelles, le Président Macron va demander et obtenir la suppression des surfaces d’intérêt écologique (4%), la remise en cause du Green deal (alors que 8 mesures ne sont pas encore programmées). En revanche il n’interviendra pas sur les vraies raisons de la crise : absence de prix rémunérateurs, réactivation des OCM (organisations communes de marché), réorientations et plafonnement des aides à l’agriculture.
Malgré les maladies liées aux pesticides, certains syndicats agricoles réclament le retour à l’utilisation de pesticides dangereux, allant jusqu’à demander que l’Anses, actuellement responsable des autorisations de mise sur le marché, soit soumise au contrôle politique du ministère de l’Agriculture.
Ils veulent placer l’Office français de la Biodiversité (OFB) sous l’autorité des préfets. Quant au rejet réclamé du principe de non-régression du droit de l’environnement, il remet en cause par exemple, le droit des riverains à obtenir des zones de non-traitement (ZNT), pour être protégés des pulvérisations mortifères !

Rappelons quelques impératifs :

  • Il faut soutenir les paysans défendant un modèle agricole durable, en réorientant la PAC pour que 80% des aides n’aillent plus à 20% de grosses structures,
  • C’est la protection de la santé de la population qui doit rester « au-dessus de tout », celle des consommateurs, des producteurs, des voisins riverains,

Nos décideurs politiques, en continuant à soutenir une agriculture productiviste sans prendre en compte le dérèglement climatique et l’impact des pesticides sur notre santé, bafouent systématiquement le principe de précaution. Les pro-pesticides sans limites ne pourraient-ils pas se rappeler que nombre de leurs collègues et des riverains sont très malades ou décèdent à cause des pesticides ?

Dernière minute : le premier ministre vient d’annoncer « la mise sur pause du plan de limitation des pesticides » : nous sommes atterrés par cette décision qui va à l’encontre de la protection de notre santé et de notre environnement.

Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest : 06 82 58 67 32
Courriel : Victime.pesticide.ouest@ecosolidaire.fr

Carhaix, le 2 février 2024